La culture du narcissisme se répand parmi les classes moyennes. Christopher Lasch affirme dans La culture du narcissisme que la civilisation occidentale n’est plus capable de former des individus autonomes et accomplis. Dans sa perspective, c’est paradoxalement l’extension de la responsabilité de la société à l’égard de l’individu qui est la cause du développement du narcissisme sous sa forme moderne.
La crise de la culture selon Hannah Arendt
La culture du narcissisme valorise la jouissance immédiate. Christopher Lasch met en évidence le déclin de l’apport du passé au présent. L’individu moderne a perdu la notion de son inscription dans une succession de générations qui le guide vers l’avenir. En effet, les personnes âgées ne peuvent plus transmettre la sagesse de leur expérience dans une société où le présent occulte le passé comme le futur. Elles aussi atteintes par la culture du narcissisme, elles cherchent plutôt à prolonger leur propre jeunesse. L’hédonisme de l’instant aurait ainsi étouffé toute projection dans l’avenir. « Puisque la société n’a pas d’avenir, explique Christopher Lasch, il est normal de vivre pour l’instant présent, de fixer notre attention sur notre propre « représentation privée », de devenir connaisseurs avertis de notre propre décadence, et enfin, de cultiver un « intérêt transcendantal pour soi-même » » (La culture du narcissisme). La quête du bien-être est la priorité absolue de l’individu narcissique, de telle sorte qu’elle le détourne des sentiments désintéressés comme l’amour ou l’altruisme. Le sociologue considère toutefois cette attitude – en fait plus proche de la haine que de l’amour de soi – comme une manière de se protéger des tensions induites par la compétition généralisée de la vie moderne. Christopher Lasch compare celle-ci à l’utopie du marquis de Sade, où les êtres humains ne sont plus que des objets d’échange sexuel.
L’ère du vide selon Lipovetsky
Christopher Lasch dénonce la crise due à la culture du narcissisme
La culture du narcissisme est un symptôme de l’idéologie du progrès. Le point de départ de Christopher Lasch est la transformation de l’éducation, devenue libérale et progressiste pour satisfaire au culte de la spontanéité et de l’authenticité. Cette évolution est concomitante de la disparition du rôle traditionnel de la famille, désormais remplacée par diverses institutions publiques. Elle aurait fait perdre aux nouvelles générations le sens de l’autorité et de la discipline, toutes les deux discréditées par les modes de pensée « thérapeutiques » (la psychanalyse, les doctrines progressistes, certains courants sociologiques, etc.) ayant pour but de supprimer l’inégalité et la conflictualité des relations humaines. Or, pour Christopher Lasch, ces modes de pensée ont laissé intact le processus de domination en même temps qu’elles ont considérablement fragilisé le psychisme individuel. « Dans une société sans autorité, écrit-il, les couches inférieures ne ressentent plus l’oppression comme de la culpabilité, elles intériorisent une conception grandiose des chances offertes à tous, ainsi qu’une opinion surfaite de leurs propres capacités » (La culture du narcissisme). Privé des repères de l’éducation parentale classique, l’individu narcissique se fait un idéal démesuré de la réussite et de la renommée à atteindre, si bien que son surmoi le condamnera avec férocité en cas d’échec. Ainsi, Christopher Lasch accuse l’attitude permissive propagée par la culture du narcissisme de dissimuler un système de contrôle extrêmement efficace, dans lequel la séduction et la manipulation ont remplacé l’autorité.
Le malaise dans la civilisation selon Freud
La culture du narcissisme dégrade les relations sociales. Christopher Lasch souligne que l’individu moderne tend à dissimuler sa fragilité psychologique derrière une attitude de détachement cynique qui fait une grande place à l’humour. Si cette attitude le protège, elle le désengage cependant des relations sociales en faisant croître en lui son sentiment d’inauthenticité. Or, l’art et la religion ne permettent plus de résoudre ce malaise intérieur. Celui-ci se décèle tout particulièrement dans les relations entre les sexes. Valorisant la sexualité dans le présent, indépendamment de l’amour et de la fidélité, les partenaires fuient dorénavant devant l’incertitude et la complexité des sentiments. Pour Christopher Lasch, ce désengagement affectif instaure un climat d’amertume dans les relations personnelles, car la désinvolture de l’individu dans ses relations est incompatible avec le niveau des exigences auxquelles il soumet ses relations sociales. Elle le place dans une anxiété permanente en le rendant incapable de vivre dans un rapport apaisé au monde. Seul le reflet de son moi dans l’attention que lui porte autrui, voire dans l’irradiation de sa célébrité panse de manière éphémère son insécurité psychologique. « Malgré ses illusions sporadiques d’omnipotence, écrit Christopher Lasch, Narcisse a besoin des autres pour s’estimer lui-même ; il ne peut vivre sans un public qui l’admire. Son émancipation apparente des liens familiaux et des contraintes institutionnelles ne lui apporte pas, pour autant, la liberté d’être autonome et de se complaire dans son individualité » (La culture du narcissisme).