Rechercher
Generic filters
Rechercher
Generic filters

Macron, roi philosophe ?

Sommaire

Macron, roi philosophe ?

roi philosophe Macron

Article initialement publié sur le Huffington Post

« Seuls les philosophes savent ce qu’il faut faire pour qu’un État soit bien gouverné », écrit Platon dans La République. C’est ainsi qu’il justifie, s’épargnant à lui-même la prudence qu’il associe pourtant à la sagesse, la figure du « roi philosophe ».

Diplômé de philosophie, féru du concept ou adepte du jargon, Emmanuel Macron pourrait donner l’impression d’incarner le dirigeant de l’utopie platonicienne.

Mais la situation du président français colle-t-elle vraiment, dans le détail, avec les traits du gouvernant idéal selon Platon ?

Réponse en 4 points.

1/ La formation au pouvoir

Platon imagine tout d’abord pour le dirigeant de sa république une préparation spécifique.

Le futur roi philosophe doit être sélectionné et formé par certaines disciplines : la musique, pour acquérir le sens de la mesure, de la régularité, et s’immuniser contre la pensée floue ; la « gymnastique », qui englobe les exercices physiques, le régime alimentaire, et l’hygiène ; et enfin la philosophie, réservée aux meilleurs potentiels afin de les doter d’une supériorité sur le double registre moral (souci de l’intérêt général) et intellectuel.

La formation académique d’Emmanuel Macron ressemble en certains points à l’éducation fantasmée par Platon.

Le président français possède tout d’abord une culture artistique plutôt développée. Son esprit a été nourri par la littérature classique, ce dont témoigne son éloquence, et plus précisément la richesse de son vocabulaire. Il s’est consacré – poussé par ses sentiments pour sa professeure, semble-t-il – au théâtre quand il était lycéen. Il a pratiqué le piano pendant une dizaine d’années et a même reçu le troisième prix du conservatoire d’Amiens.

Mais surtout, il met volontiers lui-même en avant l’importance de la philosophie dans son armature intellectuelle. Celle-ci aurait été forgée, de manière générale, par les auteurs les plus classiques (notamment Machiavel, Kant, et Hegel – il ne cite pas Platon) ; puis dans une grande complicité intellectuelle avec Paul Ricoeur – il a été son assistant éditorial – dont il aurait tiré l’ambition d’évoluer tout à la fois, par des va-et-vient, dans la théorie et dans le réel, grâce à l’action politique.

Sa formation apparaît encore plus « platonicienne » au regard de sa dimension sélective. Le chef de l’État est en effet, comme beaucoup de présidents avant lui (à l’exception, quoique relative, de Nicolas Sarkozy), un pur produit de l’élitisme républicain français : classe préparatoire littéraire, université de philosophie, Sciences-po Paris (taux d’admission de 10%), ENA (4%), Inspection des finances (moins de 10%).

Son passage par l’ENA, en particulier, pourrait être comparé, dans une certaine mesure, au formatage moral du futur roi philosophe. Dans l’utopie de Platon, l’âme du candidat doit être imprégnée, dès l’enfance, par le sens du Bien ; dans la Ve République française, le haut fonctionnaire doit être animé par le sens de l’intérêt général et du service public – des finalités louables, comme le Bien, si tant est qu’elles puissent être définies.

La formation théorique du roi philosophe est donc cruciale, mais elle ne fait pas une préparation suffisante à l’exercice du pouvoir.

2/ L’expérience

S’il est entré dans la postérité par ses œuvres théoriques, Platon n’en était pas pour autant ignorant de la réalité et de la pratique politiques, auxquelles il s’est notamment confronté dans ses fonctions de conseiller de Denys Ier et IInd de Syracuse.

De fait, le roi philosophe n’est pas parachuté au gouvernement depuis le ciel des idées. Il doit d’abord en passer par plusieurs étapes qui valident son aptitude au pouvoir.

À vingt ans, le candidat est sélectionné pour l’étude des sciences ; à trente ans, pour celle de la dialectique ; il replonge ensuite dans la vie sociale de trente-cinq à cinquante ans pour acquérir de l’expérience, avant la sélection finale, qui détermine s’il a le cuir pour faire partie des véritables « chefs », ou s’il doit plutôt être un de leurs « auxiliaires », c’est-à-dire un exécuteur de leurs décisions.

Ainsi, le parcours du gouvernant de la république platonicienne est équitablement partagé (quinze ans pour chaque phase) entre la contemplation et l’action.

Platon dirait donc d’Emmanuel Macron qu’il est arrivé au pouvoir onze ans trop tôt. Quittant le service de l’État après seulement quatre ans, le futur président fait un passage et une ascension éclair en banque d’affaires, de 2008 à 2012. La suite se concentre également en quatre ans : secrétaire général adjoint de la présidence de 2012 à 2014, puis ministre jusqu’à sa candidature à la fonction suprême.

Le président français a certes étudié moins longtemps (neuf ans) que ne le préconise le philosophe, mais cette durée est déjà très supérieure à la moyenne (même dans le contexte contemporain d’inflation des diplômes).

Au plan de l’expérience « pratique », en revanche, son parcours peut paraître proche du chemin tracé par Platon : son « plongeon dans la vie sociale » a duré douze ans, auxquels s’ajoutent les divers stages et engagements extra scolaires de la période d’études ; il a exercé des responsabilités dans différentes parties et à différents niveaux de la haute administration publique ; il a travaillé dans l’enseignement et dans le secteur privé (même s’il est souvent craint que le passage par la finance désimprègne l’âme du Bien) ; il a enfin une expérience, certes plutôt courte et toute récente, mais effective, du pouvoir exécutif.

Emmanuel Macron n’était donc pas dépourvu d’expérience pour devenir roi philosophe, et sa valeur n’a peut-être pas attendu le nombre des années. Néanmoins, Platon lui reprocherait probablement d’en avoir consacrées trop peu au ciel des idées.

3/ L’idéalisme

Si « seuls les philosophes savent ce qu’il faut faire pour qu’un État soit bien gouverné », c’est parce qu’ils sont les seuls capables de contempler la vérité. Or, pour Platon, l’essence profonde de la réalité réside dans les idées, les archétypes dont sont issus les éléments du monde sensible.

La légitimité du gouvernant de la république platonicienne tient donc dans sa formation philosophique, et tout particulièrement dans l’enseignement ésotérique de l’« idée du Bien » – la plus importante de toutes – qu’il a reçu à l’Académie. C’est grâce à ce savoir théorique qu’il sera capable de conformer l’être au devoir-être, c’est-à-dire la réalité politique à la théorie du meilleur gouvernement.

En clair, le roi philosophe arrive au pouvoir avec un projet préconçu et la conviction inébranlable qu’il est le bon.

De ce point de vue, le pragmatisme affiché par le président français colle plutôt mal avec le dogmatisme – il faut l’appeler ainsi – du dirigeant idéal dépeint dans La République. S’affirmant désireux d’obtenir des résultats concrets, Emmanuel Macron semble bien davantage guidé par « l’éthique de responsabilité » que par « l’éthique de conviction ».

De son propre aveu, c’est de la pensée de Paul Ricoeur qu’il tirerait la volonté d’assumer le caractère tensionnel de la réalité, avec lequel la politique doit forcément composer. Ainsi, plutôt que de choisir simplement une idéologie et ses options, il ambitionne, par exemple, de concilier la libéralisation de l’économie et la protection des plus faibles ; ou encore la fierté nationale et la construction européenne.

Ses détracteurs dénoncent certes cette forme de pragmatisme comme un opportunisme, préservé et entretenu par le flou de la communication. À considérer ce seul point, le chef de l’État apparaît davantage comme un disciple de Machiavel, lequel rejetait tout idéalisme.

Il pourrait toutefois rester comparable à la figure de Platon par un dernier aspect.

4/ L’élitisme

Dans l’utopie platonicienne, le roi philosophe est avant tout le membre et le plus haut représentant d’une élite très restreinte, les « gardiens ». Ceux-ci constituent la minorité vertueuse vouée aux commandes de l’État, d’où elle peut insuffler sa sagesse à la Cité, et en particulier le courage aux guerriers et la tempérance à la majorité des producteurs. Pour le philosophe, la justice repose sur l’harmonie de ces trois catégories de citoyens.

L’élite des gardiens a néanmoins un mode de vie bien à part, propre à nourrir les théories complotistes. Platon veut en effet qu’ils évoluent dans une sorte de communisme : qu’ils mettent en commun les biens, les femmes et les enfants ; qu’ils soient d’une extrême frugalité ; qu’ils obéissent à un eugénisme inspiré de celui de Sparte (unions sexuelles programmées par des magistrats) ; que les enfants soient éduqués ensemble par l’État, et les plus faibles éliminés ; qu’ils respectent l’égalité entre la femme et l’homme (une thèse à rebours des mentalités de l’époque).

Le fantasme de cette élite morale et spirituelle est une réfutation évidente de la démocratie.

Cette dimension de la figure du roi philosophe ne correspond dès lors pas, sous l’angle politique, à la situation d’Emmanuel Macron, qui a été élu démocratiquement à la présidence de la République. Si la haute fonction publique française – et notamment les grands corps de l’État – se voit souvent reprocher son entre-soi, celui-ci n’a bien sûr rien à voir avec un communisme eugéniste institutionnalisé – et l’entre-soi des hauts fonctionnaires est loin d’être le seul de la société française.

Les élites républicaines françaises laissent peut-être transparaître une foi en leur propre supériorité intellectuelle et éthique, mais là n’est pas l’aspect le plus platonicien de la situation d’Emmanuel Macron.

L’élitisme à l’œuvre pourrait tout d’abord paraître technocratique. De fait, l’élection du plus jeune président français a largement été interprétée comme un retour au pouvoir de la technocratie. En étant lui-même issu, il en comprend le fonctionnement et il y bénéficie forcément de réseaux ; il est donc probablement plus prompt à gouverner avec que contre elle. Pour autant, la technocratie serait-elle en retrait avec un autre président ? A-t-elle jamais été véritablement en retrait ? Rien n’est moins sûr, étant donné l’étendue de l’administration française. Les « gardiens » formés à l’ENA sont en place depuis bien longtemps.

L’élitisme pourrait également être caractérisé comme monarchique. De la figure du « roi philosophe », c’est surtout la stature royale – et donc par certains côtés antidémocratique – que la Ve République française donnerait à son président.

Le vainqueur des dernières élections a en effet hérité du système institutionnel conçu par le général de Gaulle, dont il est souvent dit qu’il transforme le chef de l’État en « monarque républicain », au détriment des intermédiaires de la démocratie. Emmanuel Macron semble vouloir assumer la concentration de pouvoirs et la verticalité du président gaullien, comme en témoigne par exemple son discours devant le Congrès, au point de susciter les accusations d’autoritarisme (jusque dans son propre parti).

Ces critiques, somme toute relativement banales, ne doivent toutefois pas occulter la réalité du pouvoir politique dans la démocratie française, à savoir qu’il y est limité et partagé, de telle sorte que le président serait en fait bien plus philosophe que roi.

 

Alors, Macron roi philosophe ?

Par sa culture artistique, son habileté conceptuelle, et son élitisme académique, plutôt oui ; mais par sa jeunesse, son pragmatisme, et les circonstances institutionnelles de son exercice du pouvoir, plutôt non.

L’intérêt de la question est cependant ailleurs : c’est de constater que les fantasmes de la théorie politique (comme la figure du « roi philosophe ») ne sont pas totalement anodins ; qu’ils forgent les représentations et sont ainsi, dans une certaine mesure, inscrits dans le réel par repassage, un peu comme un tatouage sur la peau.

Romain Treffel

Commentaires

Une réponse

  1. Bonjour,
    Merci pour l’article mais attention tout de même à ce que vous citez concernant son parcours, il y a pas mal de mise en scène et d’amplification concernant son CV. https://www.lexpress.fr/actualite/politique/macron-philosophe-ces-intellectuels-qui-n-y-croient-pas_1827700.html

    => « Quelques jours plus tôt dans Le Monde, la philosophe Myriam Revault d’Allonnes émettait également des réserves sur le rôle réel tenu par Emmanuel Macron auprès du philosophe.

    Membre du conseil scientifique du Fonds Ricoeur, elle précise au quotidien du soir qu’Emmanuel Macron n’a été qu’assistant éditorial de l’ouvrage La Mémoire, l’histoire, l’oubli (Seuil, 2000). « Et non pas « l’assistant » de Paul Ricoeur à l’université, abus de langage souvent repris par les médias, ce qui supposerait qu’Emmanuel Macron ait enseigné la philosophie, ce qu’il n’a jamais fait, qui plus est avant Mai 68″, raille-t-elle. »

    Vous ne le citez pas mais voici un mensonge que Macron aurait essayé de diffuser dans le but de paraître pour plus « philosophe » ce qui en dit long sur le personnage et son mépris de la réalité…

    => « Une thèse avec Balibar?
    Avant d’entrer à l’ENA, Emmanuel Macron a fait une hypokhâgne et une khâgne au lycée Henri IV, puis a obtenu un DEA de philosophie à l’université Paris-X Nanterre. De cette période, l’ancien ministre dit avoir été « beaucoup inspiré » par le philosophe marxiste Etienne Balibar. « Il dit qu’il a fait une thèse avec (Etienne) Balibar, il semblerait que Balibar ne s’en souvient pas », sourit Michel Onfray.

    De fait, le professeur en question admet n’avoir « aucun souvenir de son travail » universitaire. Et, souligne Le Monde, s’il n’a « aucune hostilité particulière à l’égard » de l’homme politique, il trouve « absolument obscène cette mise en scène de sa formation philosophique qu’il organise lui-même ou que son entourage organise ».

    Histoire de clarifier complètement les choses, vous ne précisez pas qu’il a passé 4 années de sa vie à réviser des concours. Il a en effet raté l’ENS 2 fois et 1 fois l’Ena. On pourrait donc clairement le qualifier de bourreau de travail plus qu’autre chose. (Il reste excellent mais pas plus grand qu’un autre)

    Pour aller plus loin, on pourrait également se référer à Juan Branco qui parle d’instrumentalisation des médias dans le but de glorifier le personnage, il prend par exemple l’argument pris et repris du « Mozart de la Finance » ou de la tentative de le faire passer pour un grand pianiste etc…mais ce n’est pas le sujet.

    Merci pour l’article, je ne défend ni n’attaque Macron, il s’agit simplement de rétablir quelques vérités.

    Amicalement

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Vous n'avez pas besoin de passer votre vie dans les livres.

Découvrez les 5 secrets des personnes les plus cultivées.

Qui est Romain Treffel ?

Passionné par les idées, je veux vous aider à mieux comprendre votre existence grâce au meilleur de la pensée. C’est dans cet esprit que je travaille à rendre les grands concepts plus accessibles et les grands auteurs plus proches de nous.

Passé par l’ESCP, la Sorbonne, et l’École Normale Supérieure, j’aide également les étudiants à réussir les épreuves littéraires des concours des grandes écoles.

Vous n'avez pas besoin de passer votre vie dans les livres.

Vous n'avez pas besoin
de passer votre vie
dans les livres.

Découvrez les 5 secrets des personnes les plus cultivées.

Nous utilisons des cookies pour gérer ce site web et comprendre comment vous l’utilisez. Consultez notre politique en matière de cookies en cliquant ici.