La société du spectacle est un avatar du capitalisme. Guy Debord dénonce dans La Société du Spectacle la domination sans partage, mais sous une nouvelle configuration, de l’économie marchande, ainsi que les nouvelles techniques de gouvernement qui l’accompagnent. Celles-ci ont fait naître de nouvelles formes d’aliénation de l’individu qui, plus insidieuses et beaucoup plus profondes, vont jusqu’à priver la vie humaine de son authenticité.
La société du spectacle fait advenir le règne de la marchandise. Reprenant à son compte et prolongeant la thèse du fétichisme de la marchandise de Marx, Guy Debord affirme que l’aliénation propre à la société de consommation repose sur l’emprise de la marchandise sur toute perspective de vie. « C’est le principe du fétichisme de la marchandise, écrit-il, la domination de la société par « des choses suprasensibles bien que sensibles », qui s’accomplit absolument dans le spectacle, où le mode sensible se trouve remplacé par une sélection d’images qui existe au-dessus de lui, et qui en même temps s’est fait reconnaître comme le sensible par excellence » (La Société du Spectacle, thèse 36). Dans son sens économique, ainsi, le concept de spectacle renvoie au mode de production capitaliste moderne, capable de reproduire les marchandises à l’infini, de les faire toujours plus nombreuses et de dissimuler l’unité de leur fondement idéologique par leur variété toujours plus grande. Pour Guy Debord, le spectacle est plus précisément le moment où la production économique a réussi à envahir et à occuper tout l’espace social, à donner à chaque chose une dimension marchande. Ce faisant, la société du spectacle impose à l’individu une existence illusoire dont l’horizon se résume à celui de son rôle de consommateur.
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Guy Debord dénonce le totalitarisme de la société du spectacle
La société du spectacle est le stade achevé de l’idéologie capitaliste. En effet, Guy Debord conçoit aussi le spectacle dans une perspective idéologique, comme le pendant moderne nécessaire de l’organisation économique capitaliste. Il s’agit donc d’une idéologie économique qui vise à répandre et à asseoir de manière totalitaire, sous toutes ses formes particulières (information, propagande, publicité, divertissement, etc.), la préférence pour le système capitaliste ainsi que la seule conception de la vie qui soit compatible avec lui. Elle se manifeste dans les productions audiovisuelles, dans les sphères bureaucratiques, politiques et économiques, lesquelles sont toutes solidaires les unes des autres. « Toute la vie des sociétés, écrit Debord, dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation » (La Société du Spectacle, thèse 1). Depuis les années d’après-guerre, la société libérale-marchande use de diverses industries socioculturelles (cinéma, télévision, etc.) pour formater l’individu en tant que consommateur en le coupant de ses véritables désirs. Guy Debord montre en particulier que cette propagande de la société du spectacle recycle des oppositions archaïques pour justifier la hiérarchie de la consommation. Par exemple, elle oppose de manière fallacieuse les « jeunes », qui seraient en phase avec l’évolution sociale, et les « adultes », qui seraient eux enfermés dans des rôles préconçus et inadaptés.
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La société du spectacle dissout la vie dans l’illusion. Guy Debord montre qu’en voulant garantir la reproduction du pouvoir et de l’aliénation, elle amoindrit l’existence, lui retire sa valeur. Ce qui était auparavant vécu directement et pleinement s’est désormais perdu dans la représentation. « La réalité considérée partiellement, explique Debord, se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l’image autonomisé, où le mensonger s’est menti à lui-même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant » (La Société du Spectacle, thèse 2). Ainsi, le spectacle n’est pas simplement une nouvelle dimension, une décoration qui se surajoute au monde réel ; en réalité, il se substitue totalement à lui, il est le moteur du profond irréalisme de la société réelle. Tous les divers phénomènes participant à la société du spectacle organisent la société sur le mode unique de l’apparence et réduisent, ce faisant, la vie humaine à une simple apparence. Si, pour Guy Debord, la première phase de l’épanouissement de l’idéologie capitaliste avait infecté la définition de l’existence avec la dégradation de l’être en avoir, la phase spectaculaire a ensuite conduit à un glissement de l’avoir au paraître. Le révolutionnaire condamne donc plus fondamentalement la société du spectacle comme une négation pure et simple de la vie elle-même.